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"Les pays du Sud paient les pots cassés de la crise"


Rédigé par , le Lundi 30 Novembre 2009 - Lu 1757 fois

MEDITERRANEE / MONDE. L’épisode de Dubaï est une piqûre de rappel : la crise n’est pas finie. Au Nord comme au Sud, ses effets dévastateurs se font encore sentir. Et ses causes ne sont toujours pas éradiquées. Tel est le diagnostic alarmiste dressé par l'économiste Paul Jorion qui a été l’un des seuls à prévoir le krach financier de 2008.


Paul Jorion est l'un des rares économistes à avoir annoncé la crise financière (photo DR)
Paul Jorion est l'un des rares économistes à avoir annoncé la crise financière (photo DR)
MEDITERRANEE / MONDE.  Drôle d’itinéraire que celui de Paul Jorion. Sociologue, anthropologue, enseignant dans les plus grandes universités (Bruxelles, Cambridge, Paris VIII, Irvine en Californie), ce Belge n’a pas hésité à quitter le giron académique pour travailler d’abord comme trader sur le marché des "futures" dans une banque française, puis, durant dix ans dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix.

De cette plongée au cœur du système financier, il est ressorti avec une conscience aigue de ses limites, voire de ses dérives.

Au point de jouer les Cassandre en annonçant dès 2007 "La crise du capitalisme américain" (éditions La Découverte) et l’implosion de la bulle immobilière américaine dans son livre "L’implosion. La finance contre l’économie : ce que révèle et annonce la crise des subprimes" (Fayard).

La réalité nous rattrape

Econostrum.info : Pourquoi la crise financière est-elle rarement abordée dans sa perspective Nord-Sud ?

Paul Jorion : Parce que les pays du Sud occupent une place marginale sur les marchés financiers. Ils sont en revanche toujours en première ligne pour payer les pots cassés. Quand les grands fonds de pension américains, les grandes fondations, spéculent sur le cours des matières premières, ce sont les producteurs du Sud qui trinquent.

Regardez ce qui s’est passé avec les céréales : les émeutes de la faim n’ont pas eu lieu aux Etats-Unis ni en Europe, elles ont eu lieu en Egypte ou en Indonésie.

Econostrum.info : Vous dites que la crise était inévitable. Pourtant, rares sont ceux qui l’ont vue venir...

Paul Jorion : On vivait dans l’illusion d’une croissance sans fin du cycle immobilier. Il suffisait pourtant de regarder comment est organisé le marché du crédit aux Etats-Unis : il repose sur l’idée très angélique d’une société où tout le monde serait propriétaire de son logement. Pour y parvenir, on a accordé des prêts sur 30 ans, puis sur 40, 50 ans. De cette manière, les banques captaient la clientèle la plus pauvre. Le système fonctionnait tant que les prix augmentaient. A un moment, on a touché le plafond et tout le système s’est écroulé.

La morale de tout ça, c’est que l’augmentation de la masse de crédit ne signifie pas augmentation de la richesse. La réalité finit toujours par nous rattraper. 

La seule reprise qui existe est celle de la spéculation

Econostrum.info : Les difficultés de Dubaï montrent que la crise n’affecte pas que les plus pauvres.

Paul Jorion : C’est le même mécanisme qu’aux Etats-Unis. A un moment, la bulle explose. La bonne santé des presqu’îles en forme de palmier de Dubaï dépend essentiellement de ceux qui viennent y passer leur temps libre. Sans eux, elles ne sont rien d’autre que des montagnes de dettes.

De même pour les hôtels qui couvrent la surface du monde : seuls peuvent les faire vivre les touristes ou les hommes d’affaires qui viennent y passer la nuit. L’immobilier commercial américain attend sa vague de refinancement en 2011 et 2012. Si d’ici-là les consommateurs ne sont pas réapparus dans les centres commerciaux, de nombreux nouveaux Dubaï viendront hanter les nuits de leurs bailleurs de fonds.

Econostrum.info : La reprise ne serait donc que très fragile ?

Paul Jorion : La seule reprise qui existe est celle de la spéculation. Tout le reste n’est que de la méthode Coué. On le voit bien avec les bilans des banques qui ont toutes bénéficié des plans de sauvetage gouvernementaux. Tout repart comme avant, à commencer par la spéculation sur les matières premières.

Au regard de la demande mondiale, il n’y aucune raison objective pour que le prix du baril de pétrole augmente. Or, les tensions inflationnistes réapparaissent, entretenues par les grands fonds spéculatifs qui trouvent là des valeurs refuges. La remontée des bourses ne signifie pas retour de la croissance. Partout, le chômage continue de grimper. Le défaut de la dette d’un fonds souverain de Dubaï nous rappelle brutalement qu’une reprise sans emploi,  pour autant qu’elle puisse en être une, ne constitue en tout cas qu’une reprise extrêmement fragile. Nos sociétés sont en effet des sociétés de consommation, et pour qu’une économie reprenne, elle ne peut se passer de consommateurs.

Comptes falsifiés

Econostrum.info : Dominique Strauss-Kahn, le patron du Fonds monétaire international (FMI), affirmait la semaine dernière que les banques n’avaient pas encore purgé toutes leurs dettes. A l’en croire, le pire ne serait pas encore passé.

Paul Jorion : Si j’avais tenu de tels propos on m’aurait traité de Cassandre. Quand c’est le patron du FMI, institution emblématique du système financier mondial, qui les tient, ils ont évidemment un autre écho.

Toutes les pertes des banques n'ont pas été encaissées. Elles ont pu falsifier leurs comptes en obtenant de valoriser leurs actifs non plus aux prix du marché, mais au moyen d'un modèle. En gros, elles spéculent sur une reprise hypothétique. C'est une hérésie. Avec ce changement de méthode, on ne fait que reculer le moment de vérité.

Lire aussi : A Vienne, l'Europe du Sud Est et la Banque Mondiale chercheront à amortir la crise
ET : Au Sud : \"un effet retardé de la crise\"




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