econostrum.info : Le commerce informel demeure très important à la frontière tuniso-libyenne, ce phénomène est-il implanté de longue date dans la région ?
Kamel Laroussi : Les réseaux de contrebande y existent depuis l’apparition de la frontière entre les deux pays en 1910 et ils ont pris de l’ampleur avec les mouvements de résistance contre l’occupation française. Cela a créé un véritable mode de vie de part et d’autre, via des circuits de pasteurs nomades, de chameliers. Dans les années 1970, ces mêmes circuits faisaient passer des centaines de Tunisiens qui rejoignaient la Libye comme main-d’oeuvre. Il y a ensuite eu des tensions, des fermetures dans les années 1980, jusqu’à la libre circulation instaurée dans le cadre des accords de l’UMA (Union du Maghreb Arabe) en 1989.
La contrebande et le commerce parallèle y ont alors connu un véritable essor. Sans compter que pendant l’embargo des Nations-Unies dans les années 1990, la Libye a profité de ce commerce parallèle pour s’approvisionner. C’est une tradition enracinée, un espace en concurrence avec l’espace du commerce officiel.
Kamel Laroussi : Les réseaux de contrebande y existent depuis l’apparition de la frontière entre les deux pays en 1910 et ils ont pris de l’ampleur avec les mouvements de résistance contre l’occupation française. Cela a créé un véritable mode de vie de part et d’autre, via des circuits de pasteurs nomades, de chameliers. Dans les années 1970, ces mêmes circuits faisaient passer des centaines de Tunisiens qui rejoignaient la Libye comme main-d’oeuvre. Il y a ensuite eu des tensions, des fermetures dans les années 1980, jusqu’à la libre circulation instaurée dans le cadre des accords de l’UMA (Union du Maghreb Arabe) en 1989.
La contrebande et le commerce parallèle y ont alors connu un véritable essor. Sans compter que pendant l’embargo des Nations-Unies dans les années 1990, la Libye a profité de ce commerce parallèle pour s’approvisionner. C’est une tradition enracinée, un espace en concurrence avec l’espace du commerce officiel.

Pour Kamel Laroussi, le commerce parallèle se poursuit normalement (photo DR)
Respect du code de la douane
Le marché parallèle s’y est-il accentué après la révolution ?
K.L. : En 1992, ce commerce parallèle représentait 92 % du volume global des importations de Libye en Tunisie. En 2006, il est retombé à 36% à cause des contrôles, pour s’établir aujourd’hui autour de 77%. La Tunisie est aussi un point de passage pour les denrées alimentaires ou les cheptels venus d’Algérie vers la Libye. Les chiffres d’affaires des commerçants peuvent atteindre 500 000 dinars tunisiens (226 000 €) par an dans cette zone. Le volume de transfert quotidien en monnaie nationale est de 5 à 7 millions de dinars tunisiens, ce qui porte le montant annuel entre 1,8 milliard et 2,5 milliards de dinars (entre 800 M€ et 1,1 mrd€).
Comment expliquer que ces activités parallèles connaissent autant d’ampleur malgré les contrôles aux frontières ?
K.L. : Ben Ali avait opté pour une politique du donnant-donnant. Laisser libre cours à cette pratique permettait de résoudre le problème du chômage, tout en la contrôlant à œil mi-ouvert, mi-fermé. Plusieurs catégories de populations ont été intégrées dans ce mécanisme : les diplômés chômeurs, les retraités, les femmes. Un mécanisme de confiance s’est également mis en place, des agents de change aux transporteurs.
Par ailleurs, la plupart des commerçants informels ne transgressent pas le code de la douane. Chacun a le droit de transporter jusqu’à 500 dinars tunisiens (226 €) de marchandises par jour à la frontière. Seulement, beaucoup font plusieurs aller-retours en une journée avec cette même quantité et les douaniers ne peuvent pas saisir leurs marchandises. 90% de ce commerce vient de ces transporteurs, ces commerçants du « Khat », comme on les appelle, qui font des migrations pendulaires de part et d’autre de la frontière tuniso-libyenne et font passer leurs marchandises pour des biens de consommation personnelle.
K.L. : En 1992, ce commerce parallèle représentait 92 % du volume global des importations de Libye en Tunisie. En 2006, il est retombé à 36% à cause des contrôles, pour s’établir aujourd’hui autour de 77%. La Tunisie est aussi un point de passage pour les denrées alimentaires ou les cheptels venus d’Algérie vers la Libye. Les chiffres d’affaires des commerçants peuvent atteindre 500 000 dinars tunisiens (226 000 €) par an dans cette zone. Le volume de transfert quotidien en monnaie nationale est de 5 à 7 millions de dinars tunisiens, ce qui porte le montant annuel entre 1,8 milliard et 2,5 milliards de dinars (entre 800 M€ et 1,1 mrd€).
Comment expliquer que ces activités parallèles connaissent autant d’ampleur malgré les contrôles aux frontières ?
K.L. : Ben Ali avait opté pour une politique du donnant-donnant. Laisser libre cours à cette pratique permettait de résoudre le problème du chômage, tout en la contrôlant à œil mi-ouvert, mi-fermé. Plusieurs catégories de populations ont été intégrées dans ce mécanisme : les diplômés chômeurs, les retraités, les femmes. Un mécanisme de confiance s’est également mis en place, des agents de change aux transporteurs.
Par ailleurs, la plupart des commerçants informels ne transgressent pas le code de la douane. Chacun a le droit de transporter jusqu’à 500 dinars tunisiens (226 €) de marchandises par jour à la frontière. Seulement, beaucoup font plusieurs aller-retours en une journée avec cette même quantité et les douaniers ne peuvent pas saisir leurs marchandises. 90% de ce commerce vient de ces transporteurs, ces commerçants du « Khat », comme on les appelle, qui font des migrations pendulaires de part et d’autre de la frontière tuniso-libyenne et font passer leurs marchandises pour des biens de consommation personnelle.
Sécuriser toute la frontière est un fantasme
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La corruption des agents est aussi souvent évoquée dans cette région, avez-vous recueilli des données sur ce phénomène ?
K.L. : Des douaniers reconnaissent qu’il existe des failles, de la corruption, mais à quelle échelle, nous ne savons pas. La pratique reste individuelle, ce phénomène ne concerne pas tout le corps de la douane. Mais certains établissent des relations avec les contrebandiers, des codes pour faire passer leurs marchandises. La vraie contrebande souvent ne transite pas par les douanes, mais dans d’autres zones transfrontalières. Le trafic d’essence de contrebande par exemple. Une partie infime reste acheminée dans des réservoirs mais la plupart du temps des camionnettes ou des camions les transportent via des pistes.
Le « mur » (digue de sable) que les autorités tunisiennes construisent depuis l’été sur une partie de la frontière pour des raisons avant tout sécuritaires risque-t-il de modifier les échanges commerciaux régionaux ?
K.L. : Sécuriser toute la frontière est un fantasme. Ce n’est pas un mur qui va couper les trafics. Il s'agit d'une zone désertique avec des lacs salés, donc il reste très difficile d’y bâtir quoi que ce soit. L’économie locale ne risque pas d’être bouleversée car elle est soutenue par la population locale. Des éleveurs de chameaux et de dromadaires qui transhument revendiquent déjà leur droit ancestral de conduire leur cheptel de part et d’autre de la frontière. Ce projet va peut-être réduire le trafic d’armes ou autres produits illicites mais concernant le commerce parallèle ça ne devrait pas changer grand chose. Je ne pense pas non plus qu’à terme cela dissuade les contrebandiers qui trouveront certainement des façons de contourner cet obstacle.
K.L. : Des douaniers reconnaissent qu’il existe des failles, de la corruption, mais à quelle échelle, nous ne savons pas. La pratique reste individuelle, ce phénomène ne concerne pas tout le corps de la douane. Mais certains établissent des relations avec les contrebandiers, des codes pour faire passer leurs marchandises. La vraie contrebande souvent ne transite pas par les douanes, mais dans d’autres zones transfrontalières. Le trafic d’essence de contrebande par exemple. Une partie infime reste acheminée dans des réservoirs mais la plupart du temps des camionnettes ou des camions les transportent via des pistes.
Le « mur » (digue de sable) que les autorités tunisiennes construisent depuis l’été sur une partie de la frontière pour des raisons avant tout sécuritaires risque-t-il de modifier les échanges commerciaux régionaux ?
K.L. : Sécuriser toute la frontière est un fantasme. Ce n’est pas un mur qui va couper les trafics. Il s'agit d'une zone désertique avec des lacs salés, donc il reste très difficile d’y bâtir quoi que ce soit. L’économie locale ne risque pas d’être bouleversée car elle est soutenue par la population locale. Des éleveurs de chameaux et de dromadaires qui transhument revendiquent déjà leur droit ancestral de conduire leur cheptel de part et d’autre de la frontière. Ce projet va peut-être réduire le trafic d’armes ou autres produits illicites mais concernant le commerce parallèle ça ne devrait pas changer grand chose. Je ne pense pas non plus qu’à terme cela dissuade les contrebandiers qui trouveront certainement des façons de contourner cet obstacle.
Quelle alternative les autorités pourraient-elles envisager afin de réguler les trafics à la frontière ?
K.L. : Tant que les populations locales ne sont pas intégrées ni sollicitées dans n’importe quel projet sécuritaire ou économique, cela ne marchera pas. D’ailleurs les militaires et gendarmes le savent très bien, ils collaborent avec ces populations qui font du commerce informel, ce sont leurs yeux et leurs oreilles. Nous préconisons l’instauration d’une zone de libre-échange entre pays du Maghreb, voire même méditerranéenne en envisageant un système d’économie équitable.
Les autorités tunisiennes affichent-elles une volonté en ce sens ?
K.L. : Le ministère du commerce a travaillé sur cette question en 2012. Mais nous préconisons l’instauration d’une zone de libre-échange qui ne soit pas un récipient pour la mondialisation et une économie libérale à tout va. Il faudrait plutôt l’orienter vers l’intégration dans les économies maghrébines à travers des avantages fiscaux, et à l’économie internationale à travers un commerce équitable. Il faudrait atténuer les effets néfastes de la mondialisation sur ces zones fragilisées, et les orienter vers l’intégration à l’Etat.
Cette demande devient aujourd’hui plus qu’urgente pour ces régions. Leur marginalisation ne doit pas remplacer leur intégration dans le projet économique national. Pour construire, il faut être ensemble, pas face à face.
Lire aussi : L'économie parallèle dans le sud tunisien: incontrôlable et nécessaire
K.L. : Tant que les populations locales ne sont pas intégrées ni sollicitées dans n’importe quel projet sécuritaire ou économique, cela ne marchera pas. D’ailleurs les militaires et gendarmes le savent très bien, ils collaborent avec ces populations qui font du commerce informel, ce sont leurs yeux et leurs oreilles. Nous préconisons l’instauration d’une zone de libre-échange entre pays du Maghreb, voire même méditerranéenne en envisageant un système d’économie équitable.
Les autorités tunisiennes affichent-elles une volonté en ce sens ?
K.L. : Le ministère du commerce a travaillé sur cette question en 2012. Mais nous préconisons l’instauration d’une zone de libre-échange qui ne soit pas un récipient pour la mondialisation et une économie libérale à tout va. Il faudrait plutôt l’orienter vers l’intégration dans les économies maghrébines à travers des avantages fiscaux, et à l’économie internationale à travers un commerce équitable. Il faudrait atténuer les effets néfastes de la mondialisation sur ces zones fragilisées, et les orienter vers l’intégration à l’Etat.
Cette demande devient aujourd’hui plus qu’urgente pour ces régions. Leur marginalisation ne doit pas remplacer leur intégration dans le projet économique national. Pour construire, il faut être ensemble, pas face à face.
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