
Une visite dans le nord de l'île méditerranéenne qualifiée de "provocation sans précédent" par Nicos Anastasiades, président de la République de Chypre, membre de l'Union européenne. D'autant plus que Recep Tayyip Erdogan, au grand dam des Chypriotes-Grecs, souhaitait "aller pique-niquer à Maraş " (nom turc de Varosha, quartier sud de la ville de Famagouste), après avoir assisté à une parade militaire à Nicosie fêtant le 37e anniversaire de la proclamation de la République turque de Chypre du Nord (RTCN). Pour l'anecdote, les fortes pluies l'ont empêché de se rendre sur la plage.
Cette cité balnéaire est depuis quarante-six ans une ville fantôme sacrifiée sur l'autel de la partition entre les deux parties de Chypre. Abandonnée, l'armée turque en interdisait l'accès. Avant qu'au cours de la campagne présidentielle d'octobre 2020, le nationaliste Ersin Tatar décide unilatéralement de la rouvrir au public sous protection militaire.
"Si les ayants droits font appel à la commission des biens immobiliers, des compensations seront payées en échange de leurs propriétés", assurait, dimanche 15 novembre 2020, Recep Tayyip Erdogan s'adressant aux Chypriotes grecs qui ont tout perdu dans cette ville. Cette affirmation souligne sa volonté de refaire vivre Varosha sans eux, donc sous contrôle turc. "Ce lieu est resté fermé pendant des années, mais il est temps de prendre des initiatives. C'est un partage équitable des ressources de l'île qui n'a jamais été accordé aux Chypriotes turcs", poursuivait-il dans sa lancée.
Les parasols déployés sur les plages de Varosha ne manqueront pas de faire de l'ombre à la station balnéaire voisine Ayía Nápa, située dans la partie grecque de l'île, en pleine activité avant le coronavirus. "Nous ne pouvons pas accepter l'injustice qu'ont subi les Chypriotes turcs lors des négociations qui ont eu lieu dans le passé pour résoudre la crise. Dès ce jour, nous sommes obligés d'agir par nous-mêmes, et ce pas que nous avons pris à Varosha est le début d'une nouvelle étape", précise le président turc.
Depuis 2017, et des pourparlers organisés sous l'égide de l'Onu, les deux parties ne discutent plus. La communauté internationale proposait alors, et c'est toujours sa position, une réunification de l'île avec l'adoption d'un système fédéraliste pour ménager chacune des populations : les Chypriotes grecs au Sud (1,26 million d'habitants) et les Chypriotes turcs au Nord (315 000). L'affaire aurait pu être scellée voici quelques semaines à la faveur des résultats d'une élection présidentielle dans la République turque de Chypre du Nord (RTCN), autoproclamée le 15 novembre 1983 et seulement reconnue par la Turquie. Mais le 18 octobre 2020, le candidat pro-turc Ersin Tatar a obtenu, contre toute attente, la victoire dans les urnes (51,74% des voix) battant son adversaire, Mustafa Akinci, président sortant et favorable , depuis 2015, à un État fédéral. Une position partagée par son "homologue" du Sud Nicos Anastasiades.
L'UE était pourtant prête à cette éventualité. Comme le prouve le Règlement (UE/Euratom) concernant le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020. Publié le 2 décembre 2013 au Journal officiel de l'Union européenne, son article 22 prévoit) qu' "en cas de réunification de Chypre entre 2014 et 2020, le cadre financier est révisé pour tenir compte du règlement global du problème chypriote et des besoins financiers supplémentaires découlant de cette réunification." Dès 2004, le Conseil de l'Union européenne a émis le souhait de "mettre fin à l'isolement de la communauté chypriote turque" et de "faciliter la réunification de Chypre en encourageant le développement économique de cette communauté". Entre 2006 et 2018, l'UE a ainsi alloué près de 520 M€ à des projets de soutien à cette communauté.
Recep Tayyip Erdogan rejette catégoriquement toute solution fédéraliste avec une phrase imagée : "vous ne pouvez faire sécher le linge d'aujourd'hui avec le soleil d'hier."
La RTCN sous perfusion d'Ankara

Le nouveau président du nord de l'île, Ersin Tatar ne s'y est pas trompé lors de son allocution du 15 novembre 2020 : "nous savons comment nous sommes parvenus ici. La Turquie fut le seul soutien à nos pères et nos grands-pères lorsqu'ils combattaient avec courage pour la liberté et contre l'expansion grecque".
Recep Tayyip Erdogan réclame "un partage équitable des ressources de l'île (qui) n'a jamais été accordé aux Chypriotes-turcs." D'où son insistance à poursuivre les explorations d'hydrocarbures.
Le 2 novembre 2020, Ersin Tatar et Nicos Anastasiades se rencontraient pour la première fois à Nicosie, sous les auspices d'Elizabeth Spehar, représentante spéciale des Nations unies à Chypre. Une simple prise de contact selon le communiqué de l'Onu. Le texte précise néanmoins que les deux dirigeants "ont exprimé leur détermination à répondre positivement à l'engagement du secrétaire général des Nations unies d'explorer la possibilité d'organiser une réunion 5+Onu, dans un climat propice, à un moment approprié". Les déclarations très récentes du président turc pourrait bien mettre fin à cet espoir.
Recep Tayyip Erdogan a réclamé, fin septembre 2020, alors que l'Union européenne le menaçait de sanctions pour ses activités de forages, la tenue d'une conférence régionale pour régler les litiges territoriaux en Méditerranée orientale. Chypre devrait y figurer en bonne place. Pendant ce temps, il avance ses pions.
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Quatre ans entre l'indépendance de Chypre et sa division
Quatre ans seulement après avoir acquis son indépendance du Royaume-Uni en août 1960, l'histoire commence déjà à s'emballer à Chypre. Cette île méditerranéenne, aux voisins séculairement antagonistes (elle a appartenu à l'Empire ottoman jusqu'à la fin de la première guerre mondiale), vit sa première fracture en 1964 avec de violentes tensions entre ses citoyens de langue grec et de langue turque.
Garants de son indépendance en 1960 par traité, le Royaume-uni, la Grèce et la Turquie se pressent alors à son chevet. Les deux derniers un peu trop violemment au point de provoquer une scission entre le Sud et le Nord en 1974. Sur les cartes elle se matérialise alors sous la forme d'une ligne verte (ligne Atilla pour les Turcs du nom de leur commandant des forces d'occupation Attila Sav). Cette zone dématérialisée est contrôlée par les Casques bleus de la Force des Nations unes chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP - 904 hommes) créée en 1964.
En février 1975 l'"État fédéré turc de Chypre" voit le jour. Il deviendra en 1983, la République turque de Chypre du Nord (RTCN) autoproclamée et reconnue seulement par la Turquie.
À l'origine de cette poussée de séparatisme et de cette ligne de cessez-le-feu de 180 km de longueur déguisée en "pseudo" frontière, se trouve des frictions tout au long des années 60 entre les deux communautés, qui créent des étincelles. Jusqu’à l'embrasement favorisé, le 15 juillet 1974, par le vent soufflé sur les braises encore incandescentes par le régime autoritaire d'Athènes avec un coup d’État, via la garde nationale, pour remplacer le président chypriote Makàrios III (Mikhaíl Khristodoúlou Moúskos, archevèque et primat de l'église de Chypre) par un autre plus favorable à l'annexion de Chypre par la Grèce.
Doctrine émanant du ministère grec des Affaires étrangères, l'Énosis (du grec "Union") est née en 1878 durant la colonisation anglaise de Chypre, visait à réunir à la Grèce toutes les îles et régions où les Grecs se trouvaient majoritaires.
Le contre-feu sera allumé par la Turquie, cinq jours plus tard. Se parant des termes du traité de garantie et donc de sa volonté de protéger les intérêts de la minorité turque, Ankara envoyait son armée envahir le Nord de l'île. Ce fut le chant du cygne de la dictature des colonels, car cette crise scella sa fin et l'arrivée d'un régime démocratique.
Mais à Chypre, l'onde de choc se poursuivi avec, entre 1974 et 1975, un chassé-croisé entre les Chypriotes grecs résidant (quelque 200 000) dans ces 37% de Chypre désormais contrôlés par les Turcs et les Chypriotes turcs habitant dans l'autre partie. Sans compter ceux s'exilant en Grande-Bretagne et l'arrivée de colons turcs (93 000 recensés en 2003), venus d'Anatolie, dans le Nord. Ces exodes internes et externes pèsent toujours dans les négociations avec le problème des réparations et du retour.
Depuis, et malgré la condamnation par une résolution de l'Onu en novembre 1983, le Nord de l'île est gouverné par la RCTN sécurisée par la présence de 30 000 soldats turcs sur son sol.
En 1977, l'Onu avait tenté d'amorcer un processus politique qui depuis a fait long feu. 2017 aura marqué le dernier espoir en date avec des pourparlers (le sixième round) infructueux.
F.D.