"Le document s'inscrit dans le droit fil d'une série de travaux analytiques dirigés par le CMI depuis 2018 avec un premier rapport sorti en 2019, "Enhancing Mediterranean Integration ". Puis un second en 2020, après le début de la pandémie, "Trading Together ", avait déjà lancé l'idée de s'appuyer sur la crise sanitaire pour trouver des opportunités de relancer la croissance et commercialiser entres les deux rives", commente Blanca Moreno-Dodson. Directrice du CMI, elle indique que "ce troisième rapport va beaucoup plus loin car, il analyse en détail quels types de flux commerciaux pourraient faire l'objet de cette commercialisation."
Cette étude de 146 pages, publiée fin février 2022 en Anglais (une version française est en cours) sous le nom “Post Covid-19: opportunities for growth, regional value chains and Mediterranean integration” (“Post Covid-19: Opportunités de croissance, chaînes de valeur régionales et intégration méditerranéenne”), est le fruit de la première collaboration sur le plan institutionnel entre le CMI, rattaché à l'Unops (Onu) depuis 2021, et le Femise, tous deux basés à Marseille. "Nous avions déjà travaillé avec certains de leurs membres. Ce solide partenariat avec le Femise nous a permis, grâce aux contributions techniques de leurs co-auteurs et les commentaires détaillés des membres du CMI, d'affiner les données et les recommandations", souligne Blanca Moreno-Dodson.

Le CMI et le Femise unissent leurs expertises
"Nos deux institutions ont ressenti le besoin de répondre rapidement et efficacement à la crise en unissant leurs forces et en proposant une vision commune au profit de la région", poursuit-elle. De début 2020 à fin 2021, le partenariat entre Femise et le CMI a d'ailleurs produit vingt-deux documents de politique générale (Policy Briefs) pour "mieux comprendre l'impact de la Covid sur la région dans différents secteurs et proposer des recommandations", indique la directrice générale du Femise.
"La crise a révélé les vulnérabilités des pays de la région dans différents domaines et le rapport plonge dans les causes profondes de ces défis, notamment en termes de sécurité alimentaire, et la fragilité du secteur de la santé dans le but de présenter des solutions pour améliorer les capacités de sécurité alimentaire, renforcer et numériser le secteur de la santé et développer davantage le secteur pharmaceutique", commente Maryse Louis.
Pour la directrice générale du Femise ce rapport recèle un double objectif car, il va au-delà de ce constat, très important à poser. "La crise a créé des opportunités pour approfondir l'intégration régionale, les pays choisissant de privilégier le raccourcissement de leurs chaînes de valeur. Le rapport met en lumière ces opportunités pour la région UE-Med en identifiant des 'niches de produits' pour un potentiel de near-shoring (NDLR: délocalisation dans un pays proche) entre les deux rives de la Méditerranée vers une intégration économique plus substantielle et une meilleure participation des pays du Sud de la Méditerranée dans les chaînes de valeur mondiales", indique-t-elle.
La crise sanitaire révélatrice de la trop faible intégration de la région
Ce cheval de bataille est enfourché depuis de nombreuses années par le Femise qui "défend l'importance de l'intégration régionale et du renforcement des relations avec l'Afrique (voisins des voisins), le développement inclusif et durable, la participation du secteur privé, la croissance tirée par l'innovation entre autres", comme le décline Maryse Louis. "Notre rapport s'inscrit donc parfaitement dans nos priorités et dans la continuité de notre positionnement sur ces sujets", poursuit-elle.

De nombreux enseignements
Parmi les enseignements, Blanca Moreno-Dodson pointe le manque d'exploitation par l'Europe de la capacité de production et d'exportation de nombreux produits dans les pays de l'Est et du Sud de la Méditerranée. "L'UE les importe de pays beaucoup plus éloignés géographiquement, notamment de la Chine", souligne-t-elle. Le rapport suggère d'enlever les barrières qui entravent ces échanges potentiels, et de promouvoir les investissements dans les secteurs offrant un avantage compétitif.
La directrice du CMI souligne également la menace qui plane en matière de sécurité alimentaire sur ces pays, "à cause de la Covid-19, mais également du changement climatique et du manque de valorisation aussi bien du secteur agricole que de la diète méditerranéenne." Ainsi que "l'importance du numérique dans le domaine de la santé pour combler des lacunes au niveau de la performance." Elle relève également "le haut potentiel du secteur pharmaceutique qui devrait être développé davantage. Je lance cet appel aux investisseurs qui s'intéressent au secteur!"
Renforcement indispensable des chaînes de valeur
Patricia Augier a repéré entre 400 et 500 produits exportés par quatre pays (Jordanie, Égypte, Tunisie, Maroc) en Asie et en Chine qui sont importés par des entreprises de l'Union européenne sous forme de biens intermédiaires. "Ceci s'explique par un souci de simple optimisation ou par une méconnaissance des produits fabriqués dans les pays méditerranéens", déduit la co-auteure du rapport.
Reste à savoir si la pandémie a finalement été un mal pour un bien en révélant certain dysfonctionnement ? La directrice du CMI s'avoue mitigée: "Elle le sera seulement si nous savons profiter de ce moment et si nous savons mettre de côté les différences éventuelles, même au niveau politique, en vue de chercher un meilleur avenir commun pour les générations suivantes. Pour ce faire, il faut valoriser les cadres institutionnels actuels aussi bien que les régulations et politiques qui encouragent la possibilité d'agir ensemble, et non pas chacun pour soi." Blanca Moreno-Dodson repose ses espoirs sur l'Union pour la Méditerranée, le nouvel accord de commerce entre l'Europe et le continent africain, le renouvellement du partenariat Union européenne - Union africaine, mais n'oublie pas "le rôle du CMI pour continuer à promouvoir l'intégration de nos économies, de nos mouvements de capitaux et de nos populations."
Le rapport présenté officiellement au Caire
Le document sera ensuite diffusé à travers plusieurs évènements thématiques, chapitres par chapitres, en collaboration avec le Ministère français de l'Économie et des Finances, l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), le CIHEAM (Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes) et la Banque mondiale. "L'idéal serait que ces idées soient portées par les institutionnels. J'aimerai aussi que le secteur privé s'en empare", espère Patricia Augier. "Il faudrait le mobiliser dans les pays européens et ceux du Sud et de l'Est de la Méditerranée dans chacun des secteurs étudiés, pour diffuser cette information et voir ce qu'il est possible de mettre en place dans la relation Nord/Sud pour créer des emplois au Sud. Ce serait une opportunité d'associer politique industrielle et politique commercial, cette dernière devant être au service de la première. Avec de vrais co-investissements et de vrais co-projets pour changer notre façon de coopérer et se situer dans une relation gagnant/gagnant", poursuit-elle.
* “Post Covid-19: opportunities for growth, regional value chains and Mediterranean integration” . Auteur(e)s : Patricia Augier, Blanca Moreno-Dodson, Pierre Blanc, Michael Grasiorek, Sami Mouley, Constantin Tsakas, Bruno Ventelou.