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La justice turque veut interdire le parti pro-kurde HDP au nom de l'intégrité de la Turquie


Rédigé par , le Jeudi 18 Mars 2021 - Lu 2261 fois


L'existence du HDP se trouve en sursis (photo : HDP)
L'existence du HDP se trouve en sursis (photo : HDP)
TURQUIE. Après le lancement, mercredi 17 mars 2021 au soir par Bekir Şahin, procureur général de la Cour de cassation, d'une procédure devant la Cour constitutionnelle pour faire interdire le Parti démocratique des peuples (Halkların Demokratik Partisi -  HDP), les réactions se multiplient. Ce mouvement de gauche, pro-Kurde, est soupçonné par le pouvoir turc de liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré par la Turquie comme une organisation terroriste.

Dans l'acte d'accusation - un texte de 609 pages rendu public jeudi 18 mars 2021 -, le Parquet général indique clairement, "il n'existe pas de différence entre le parti HDP et le PKK (...) Le HDP est la branche politique de l'organisation terroriste armée PKK." Le document précise que le HDP est "devenu le foyer des actes visant l'unité et l'intégrité de l'État turc" et que "le HDP n'a jamais été aux côtés de la Turquie dans aucune question nationale, mais toujours aux côtés de ses adversaires". Selon l'acte d'accusation, "la dissolution du HDP est juridiquement indispensable pour assurer l'intégrité de la Turquie ainsi que la sécurité et la paix de la nation".

Reste à la Cour constitutionnelle à se prononcer sur cet acte d'accusation pour qu'il puisse alimenter un procès.

Les réactions n'ont pas tardé. A commencé par celle de Recep Tayyip Erdogan. Dans un discours jeudi 18 mars 2021 au Palais présidentiel à Ankara, il s'est fait le relai du parquet. Deux phrases prononcées lors de remises de médailles visaient sans équivoque ce dossier : "Les empires seldjoukide et ottoman ont été surtout renversés à cause de divisions internes et externes. Nous ne permettrons pas que notre État, qui n'a pas encore atteint son centenaire, partage le même sort." Et de poursuivre, "ils ont eu recours à tous les moyens pour nous agenouiller, allant du terrorisme au coup d'État, mais leurs efforts ont été vains. Ils n'aboutiront pas à leurs mauvaises intentions."

Le HDP, troisième force politique du pays

Dans un communiqué, Pervin Buldan et Mithat Sancar, co-présidents du HDP, s'insurgent contre la dissolution de leur parti. "Nous appelons toutes les forces démocratiques, toutes les forces d'opposition sociales et politiques et notre peuple à lutter ensemble contre ce putsch politique", écrivent-ils.

La fin du HDP, fort de cinquante-cinq députés élus au Parlement, viendrait effectivement museler l'opposition à l'islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan (AKP - Parti de la justice et du développement). D'autant plus que la demande du procureur général de la Cour de cassation - nommé en juin 2020 par le président de la République turque - inclut aussi une interdiction d'exercer des fonctions politiques contre 600 membres du HDP. Cette mesure ne leur permettrait plus de fonder un nouveau parti et les mettraient hors-jeu du débat politique.

Le parti pro-Kurde demeure la troisième force politique du pays. Son candidat, Selahattin Demirtaş, est arrivé à ce rang (devancé par Muharrem Ince - CHP - et ses 30,64% des bulletins) lors des deux dernières présidentielles avec 9,76% des voix en 2014 et 8,40% en juin 2018 soit respectivement 3,95 et 4,20 millions de voix obtenues. Lors de ces deux élections, Recep Tayyip Erdogan avait été réélu avec 52,59% des suffrages en 2018 (sous l'étiquette de la coalition Cumhur, alliance entre l'AKP et le parti nationaliste MHP) et avec 51,79% en 2014 (sous bannière AKP). La prochaine présidentielle devrait se dérouler en 2023. Suite à la révision constitutionnelle qu'il a fait adopter par 51,4% des voix, Recep Tayyip Erdogan, qui cumule les postes de président et de Premier ministre, peut espérer rester au pouvoir jusqu'en 2029.

Selahattin Demirtaş, se trouve toujours, depuis novembre 2016, dans une prison turque. Ceci ne l'avait pas empêché d'être candidat en juin 2018. La Cour européenne des droits de l'homme a condamné, fin décembre 2020, la Turquie pour cette incarcération et demandé sa "libération immédiate" aux motifs que "les buts avancés par les autorités turques relativement à la détention provisoire de l'intéressé n'étaient qu'une couverture pour un but politique inavoué, ce qui est d'une gravité incontestable pour la démocratie".

Les États-Unis demandent à la Turquie de respecter la liberté d'expression

La tentative de coup d'Etat en juillet 2016 a permis à Recep Tayyip Erdogan de réduire son opposition (photo : F.Dubessy)
La tentative de coup d'Etat en juillet 2016 a permis à Recep Tayyip Erdogan de réduire son opposition (photo : F.Dubessy)
Selahattin Demirtaş partage le sort des nombreuses victimes des purges décrétées par Recep Tayyip Erdogan, après une tentative de coup d'Etat en juillet 2016. Quelque 26 000 militants et sympathisants du HDP avaient été incarcérées. Treize anciens députés ont aussi été emprisonnés et un quatorzième, Ömer Faruk Gergerlioğlu, vient d'être déchu de son mandat, mercredi 17 mars 2021, après l'approbation de la levée de son immunité parlementaire par l'Assemblée nationale turque et la confirmation, en dernière instance, d'une condamnation à deux ans et demi de prison pour "propagande terroriste". L'élu a dénoncé "une violation de la constitution" et déclaré qu'il ne quittera pas l'hémicycle sauf contraint par la force. L'ONG Human Rights Watch (HRW), par la voix de sa représentante en Turquie, Emma Sinclair-Webb, a qualifié cet acte d'"attaque choquante contre les normes démocratiques et l'État de droit ainsi qu'une violation de la Constitution turque et des obligations découlant du droit international."

A l'internationale, l'annonce sur le HDP passe plutôt mal. Les États-Unis ont fait savoir officiellement que sa dissolution "subvertirait de manière indue la volonté des électeurs turcs, saperait encore davantage la démocratie en Turquie, et priverait des millions de citoyens turcs de leurs représentants élus". Porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price "appelle le gouvernement turc à respecter la liberté d'expression" et précise que "les États-Unis suivent de près les évènements en Turquie, notamment les mesures troublantes du 17 mars visant à priver le parlementaire Ömer Faruk Gergerlioğlu de son siège."

L'UE dénonce une violation des normes démocratiques

Dans un communiqué commun, publié jeudi 18 mars 2021, Josep Borrell, Haut-représentant de l'Union européenne, et Olivér Várhelyi, commissaire européen au voisinage et à l'élargissement, indiquent que "l'Union européenne est profondément préoccupée par la décision de dépouiller le membre du Parti démocratique du peuple de la grande Assemblée nationale turque Ömer Faruk Gergerlioğlu de son siège parlementaire et de son immunité parlementaire et de son incarcération imminente ainsi que du lancement d'un processus judiciaire initié par le procureur de la Cour de cassation pour demander la dissolution du HDP". Selon eux, cette décision "violerait les droits de millions d'électeurs en Turquie. Cela s'ajoute aux préoccupations de l'UE concernant le recul des droits fondamentaux en Turquie et mine la crédibilité de l'engagement déclaré des autorités turques en faveur des réformes".

La Turquie reste candidate à l'UE même si cette perspective s'éloigne de plus en plus. Josep Borrell et Olivér Várhelyi appellent donc Ankara à "respecter de toute urgence ses obligations démocratiques fondamentales, notamment le respect de la démocratie, des droits de l'homme et de l'état de droit". En janvier 2020, lors d'une visite officielle à Bruxelles, Recep Tayyip Erdogan avait pourtant décidé de finalement prendre la main tendue depuis des mois par l'UE en affirmant sa volonté de "créer un climat positif". Le président turc avait aussi déclaré, dix jours avant à Ankara face aux ambassadeurs des États membres en poste en Turquie, vouloir "remettre sur les rails ses relations avec l'Union européenne."
 

UN PARTI RÉUNISSANT LA GAUCHE TURQUE

Créé en octobre 2012 (opérationnel en octobre 2013), le HDP est issu de la réunion de trente-trois formations politiques (associations et groupes) et de sept partis politiques*.

Il est associé au Parti socialiste européen et à l'Alliance progressiste. Outre les droits des Kurdes, il entend "représenter la société turque dans sa diversité". Le HDP prône une écologie politique et défend les droits des femmes et des LGBT.

*Parti de la paix et de la démocratie (BDP), Parti révolutionnaire socialiste des ouvriers (DSIP), Parti socialiste des opprimés (ESP), Parti de la démocratie socialiste (SDP), Parti de la refondation socialiste (SYKP), Parti de gauche des verts de l'avenir (YSGP), Parti du travail (EP).




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