Recep Tayyip Erdogan entend s'inspirer de la consultation mise en place par le Royaume-Uni. "Nous demanderions : devons-nous poursuivre les négociations avec l'Union européenne ou y mettre fin... Si le peuple veut poursuivre, alors nous poursuivrons" précisait le président turc, lors d'un discours prononcé tard mercredi 22 juin 2016.
Cette intervention arrive alors que les négociations s'enlisent entre Ankara et Bruxelles. Les dirigeants britannique et allemand David Cameron et Angela Merkel ont récemment indiqué qu'une adhésion turque ne se trouvait "pas à l'ordre du jour". Le premier affirmant même qu'elle ne pourrait pas se concrétiser "au rythme où vont les choses, avant l'an 3000". Cette boutade - qui venait en réponse à la menace, brandies par ses adversaires, d'une invasion massive de la Grande-Bretagne par des criminels turcs sitôt l'adhésion obtenue -a été prise au sérieux par les autorités turques qui n'ont pas manqué de s'en offusquer.
Jean-Claude Juncker, à son arrivée à la présidence de la Commission européenne en 2014, soulignait, s'en évoquer en particulier la Turquie, qu'aucun élargissement ne s'effectuerait avant 2020. Tous les trois continuent cependant d'affirmer que la porte reste ouverte. Ou plutôt entre-ouverte...
La perspective d'adhésion reconnue depuis 1963

Mais, les négociations ne débutent réellement qu'en octobre 2005 avec la liste des trente cinq dossiers à régler et l'ouverture des six premiers chapitres. A ce jour, seul un chapitre a été clôturé : celui sur la science et la recherche le 12 juin 2006. Alors que quinze se trouvent gelés, les plus vieux depuis décembre 2006.
Le dernier chapitre à s'ouvrir, en décembre 2015, concerne la politique économique et monétaire. Tout avance très lentement, d'autant plus que pour qu'un adhésion advienne, il faudrait l'accord unanime des Etats membres.
"L'Europe est notre maison commune autour de laquelle nous nous réunissons sur des normes, principes et valeurs communs. En tant qu’un membre de la famille européenne, la Turquie a non seulement eu une influence sur le développement politique, économique et socioculturel du continent, mais elle a été elle-même influencée par ces développements." Il suffit de lire le préambule sur les relations entre la Turquie et l'Union européenne, rédigé par le ministère turc des Affaires étrangères, pour mesurer le lien étroit entre les deux possibles partenaires.
L'arrivée d'un pays de 79 millions d'habitants - dont 30% a moins de quatorze ans - et au PIB de 721 mrds$ (650 mrds€) en 2016 selon le FMI en progression de 4%, élargirait la taille du marché intérieur européen. Et vice versa car, la Turquie se verrait ouvrir un espace européen de 514 millions d'habitants, moins, donc, les 64 millions Britanniques !
L'UE principal client d'Ankara
L'Union européenne reste le principal client de la Turquie avec 44,5% de son volume total d'exportation (144 mrds$ soit 126 mrds€ en recul de 8,7%) en 2015. Allemagne, Grande-Bretagne occupent les premières places du podium avec l'Irak en chute libre. L'Italie prend la quatrième position suivie par les Etats-Unis et la France (en recul d'une place). Automobiles (12% du total) et textile (10%) constituent les deux plus importants postes d'exportations.
Pour les importations (207 mrds$ soit 186 mrds€) en baisse de 14,4%, l'Europe reste le premier fournisseur alors que la Russie, la Chine et l'Allemagne représentent à eux seules 30% du volume total. Suivent les Etats-Unis, l'Italie et la France. Des importations dominées par le poste énergie (18% du total) et les machines, appareils mécaniques et leurs équipements (12%) puis les véhicules automobiles (9%).
Avec les conflits, la part du Moyen-orient, et notamment de l'Irak, dans les échanges avec la Turquie décline alors que celle de l'Europe se stabilise après avoir longtemps déclinée.
Des défis de taille à relever
D'abord l'aspect culturel, mais aussi religieux, explique en grande partie les réticences européennes. Si la Turquie se présente comme un Etat laïc, il reste que l'Islam est la religion largement majoritaire car, revendiquée par 98% de sa population. Le pays se trouve dirigé par l'AKP (Parti de la justice et du développement), une formation islamo-conservatrice. Même si, malgré la volonté farouche de certains de les inscrire, les références à l'héritage chrétien ne figurent par dans le nouveau Traité constitutionnel européen (Rome en 2004 puis Lisbonne en 2007), la différence de religion cristallise les craintes. "L'Europe ne veut pas de la Turquie car elle est musulmane" lançait d'ailleurs le président Erdogan dans son discours précité.
Malgré un président élu au suffrage universel depuis 2007, la Turquie a encore du chemin à faire pour devenir une démocratie au sens où les Européens l'entendent. Dans son dernier "rapport annuel sur l'avancement au regard des préparatifs visant à satisfaire aux critères d'adhésion de l'UE", adopté en novembre 2015, la Commission européenne parlait de "progrès importants accomplis au cours de l’année écoulée, mais il reste des défis de taille à relever. En ce qui concerne l'État de droit, les systèmes judiciaires ne sont pas suffisamment indépendants, efficients ou tenus de rendre compte de leur action. De sérieux efforts sont encore nécessaires en matière de lutte contre la criminalité organisée et la corruption, afin notamment d'obtenir des résultats en matière d'enquêtes, de poursuites et de condamnations définitives. Si les droits fondamentaux sont souvent en grande partie consacrés par la législation, des lacunes persistent dans la pratique. Le respect de la liberté d’expression constitue un défi particulier, la situation en la matière évoluant de manière négative dans un certain nombre de pays. La réforme de l’administration publique doit être poursuivie avec vigueur afin de mettre en place les capacités administratives nécessaires et de résoudre les problèmes que constituent les niveaux élevés de politisation et le manque de transparence. Le fonctionnement des institutions démocratiques nécessite aussi une attention particulière. Il convient de coopérer encore plus étroitement avec les acteurs de la société civile au niveau local afin d'ancrer les réformes dans la société."
Bruxelles accordait à Ankara en décembre 2015 une enveloppe de 255,1 M€ pour appuyer des réformes et la coopération régionale sur les postes "démocratie et gouvernance, état de droit et droits fondamentaux, énergie, agriculture et développement rural".
La Turquie en conflit avec un pays européen
Autre minorité, les Kurdes (12 millions) implantés dans le sud-est du pays. Ce n'est que dans les années 90 que le fait ethnique kurde a été reconnu... Alors que, Turgut Özal, discret sur ses origines kurdes, exerçait la présidence du pays. Après une trêve de dix ans, la reprise de la lutte armée par le PKK (Parti des travailleurs kurdes considéré comme une organisation terroriste par l'Union européenne) contre le régime ravive les tensions entre les deux peuples. Les Kurdes luttent actuellement à la frontière turque contre l'Etat islamique. Les autorités turques refusent de les soutenir dans ce combat.
Le conflit chypriote se présente comme un gros grain de sable dans les négociations. Comment accueillir un pays en conflit larvé avec la Grèce sur le statut de Chypre. L'île méditerranéenne se trouve divisée entre une République de Chypre pro-grecque et une République turque de Chypre du Nord (RTCN) pro-turc. Ce, depuis juillet 1974 et la tentative d'annexion à la Grèce menée par les Chypriotes grecs avec le soutien du régime des colonels suivie d'une intervention turque. Cette séparation envenime les relations entre l'UE et la Turquie.
Lors de l'actualisation de l'union douanière en 2005, le ministre turc des Affaires étrangères annonçait qu'il refusait de l'appliquer à la République de Chypre pro-grecque. Tout simplement parce que la Turquie ne la reconnait pas. Et elle est bien la seule ! Tout comme l'ensemble des autres pays ne reconnaissent pas la RTCN. En 2014, la CEDH (Cour européenne des droits de l'homme) a même condamné la Turquie pour son action militaire.
Les Chypriotes des deux bords parlent aujourd'hui de plus en plus fort de réunification. Au grand dam des autorités turques, qui rappellent à chaque fois le montant de leur soutien financier à la RTCN.
Relance du processus d'adhésion
Le dossier des migrants l'a montré encore récemment avec deux accords, en novembre 2016 lors du sommet UE-Turquie et en mars 2016, entre l'Union européenne et la Turquie sur un plan d'action pour limiter le flot des arrivées en Europe. Avec l'assistance à l’accueil et à l’intégration des réfugiés en Turquie et la lutte contre les filières de passeurs, le renforcement du contrôle des frontières et la réadmission. En novembre 2015, Bruxelles mettait sur la table 3 mrds€ sur deux ans pour financer tout cela. Au coeur de l'accord figurait d'ailleurs mot à mot la "relance du processus d'adhésion" avec l'ouverture de nouveaux chapitres au premier trimestre 2016, l'instauration de sommets réguliers deux fois par an et l'accélération de la mise en œuvre de la feuille de route sur la libéralisation des visas. Ce dernier point concernant l'exemption de visa Schengen pour le ressortissants turcs se trouvait cependant conditionné à une réforme de la législation turque anti-terroriste. Et allait entraîner une nouvelle détérioration des relations entre les deux parties avec la démission du chef de la délégation européenne en Turquie.