TURQUIE. Le ministre des Finances, Mehmet Simsek, l'a annoncé le 31 janvier 2013 : cette année, les privatisations représenteront quelque 20 mrds $ (14,9 mrds €). Un virage politique et stratégique pour une économie qui veut séduire l'étranger.
Privatiser, d'abord dans l'énergie puis de plus en plus dans le tertiaire, reste une tendance relativement récente. La première vague date du début des années 1990 : « Ayant eu à instaurer des structures légales dignes de ce nom, les pays en voie de développement sont entrés dans l'ère de la privatisation plus tard que les pays capitalistes avancés, qui en disposaient déjà », explique Gaye Yilmaz, docteur en économie et ancienne enseignante à l'Université de Boğaziçi.
La dernière décennie du XX e siècle verra d'emblématiques sociétés du domaine public (le minerai de fer d'Erdemir ou encore le gaz de Tupras) passer dans le giron privé.
Pour l'économiste engagée, l'accélération des années 2012-2013 provient surtout d'une crise qui a su épargner la Turquie alors qu'elle affectait particulièrement ses voisins. « Je pense que le gouvernement croit rendre le pays plus compétitif pour attirer toujours plus d'investisseurs étrangers s'il commercialise ses services publics et ressources naturelles. »
Ainsi, près de 15 mrds € devraient entrer dans les caisses de l'État en 2013 selon le ministre des Finances avec les privatisations de la loterie nationale, TürkTelecom, les transports, la production et la distribution de l'énergie.
Effets et contre-effets

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D'autre part, il s'agit de savoir à qui profite le plus telle ou telle privatisation. En effet, le plus gros risque que prend un État lorsqu'il cède de son activité économique, c'est d'offrir à des acteurs du privé une situation de monopole.
C'est ce sur quoi Cemil Ertem, journaliste-écrivain souvent invité sur les grands plateaux pour ses analyses, préfère insister : le gouvernement ne doit pas privatiser dans la précipitation, doit éviter que les intérêts public et étatique ne soient « sacrifiés » par la bureaucratie car les conditions du marché n'auront pas été prises en compte et qu'un monopole privé viendrait simplement remplacer celui d'État.
Prônant un libéralisme ''de souche'', l'économie d'un pays qui se veut capitaliste doit pouvoir s'appuyer non pas uniquement sur « la récolte de l'impôt à ses citoyens » mais également sur l'impôt tiré « des gains et bénéfices des activités économiques […]. Ainsi seront préservés le marché, sa liberté d'accès comme la démocratie. »
Un report pour un record
Des experts s'étaient alors accordés à chiffrer le tout pour 15 mrds € avec une gestion sur vingt-cinq ans. Pour les seuls péages des ponts, les onze premiers mois de l'année 2012 avaient engendré 314 M€ (740 MLira) de chiffre d'affaires soit la perspective d'engranger au moins 7,85 mrds € sur l'ensemble de la concession. Et encore, sans compter les péages de l'autoroute ! Le premier ministre semble avoir peu apprécié ce bradage et le trop grand écart entre la valeur estimée et le prix d'achat. "Nous devons revoir les propositions" insiste-t-il.
Cemil Ertem, plus prosaïque, y voit la patte d'un premier ministre sur ses gardes et bienveillant. D'une part quand il lutte ainsi contre la création de monopoles du privé sur d'anciennes chasses gardées publiques (l'économiste se demande ici dans quelle mesure la loi garantissant le cadrage des prix peut s'appliquer une fois l'entreprise privatisée) et d'autre part quand il fait fixer les objectifs de privatisations de 2013 sur « les bénéfices de 2012 contrôlés par le Trésor ».
Gaye Yilmaz se demande pourquoi le gouvernement revient cette fois-ci sur la question du prix plutôt bas pour cet appel d'offres alors que les précédents portaient également sur de très faibles estimations sans réaction... Serait-ce la traduction de tensions idéologiques qui peu à peu prennent forme au sein de l'AKP entre le président et son premier ministre ?