
2008 a aussi causé l’effondrement du partenariat euro-méditerranéen de Barcelone qui « devait mettre en place des instruments politiques, économiques et financiers pour donner à l’Europe un statut de puissance et construire un espace périphérique », précise Jean-François de Daguzan.
Les pays du Maghreb ont creusé leurs déficits et se sont endettés en lançant de grands projets d'infrastructures, comme des grands ports, des autoroutes, de grandes lignes ferroviaires. Ils ont privilégié leurs relations avec les pays du Nord de la Méditerranée, en créant « une interdépendance dans leur développement équipementier avec la France par exemple. Ce qui n’a eu aucun impact ou presque sur le développement humain et social », regrette Omar Bendjelloun, avocat à Marseille et Rabat, et invité aux Rencontres de Cybèle. Selon lui, cette situation a causé les révolutions du printemps arabe.
Sur les rives Sud et Est, le monde arabe a fait sa révolution en 2011. « La Tunisie a réussi son processus de mondialisation », détaille Jean-François Daguzan. Mais la situation politique de la Libye, de l’Égypte et de la Syrie pose de graves problèmes.
« L’idée de politiser la coopération économique en Méditerranée s’est heurtée à la difficulté de sa mise en place. Avec par exemple l’échec de l’Union pour la Méditerranée de Nicolas Sarkozy », poursuit le chercheur de la FRS. L’Europe va bien définir en 2015 une « politique rénovée de voisinage » afin d’améliorer ses relations avec les pays d’Afrique du Nord, mais sans grand succès. « L’Union Européenne a produit de la coopération institutionnelle et c’est tout. Le contenu de cette politique évoque une interdépendance. Oui mais à quel niveau ? L'UE donne des clés pour relancer l’économie à partir de la croissance, de la gouvernance, mais comment ? », s’insurge Jean-François de Daguzan qui ne voit pas d'actions derrières ces déclarations de bonnes intentions.
Les révoltes arabes ont fait émerger un nouveau nationalisme et l'intégrisme, avec notamment l’arrivée des Frères Musulmans des Frères Musulmans pendant quelques mois au pouvoir en Egypte. Cela a plongé la Syrie et la Libye dans des crises politiques et religieuses profondes avec la montée en puissance de Daech.
La crise migratoire

L’Allemagne s'est dit prête « à accueillir 800 000 personnes ». Elle en est à 600 000. « La France devait recevoir 30 000 migrants sur deux ans. Elle peine à arriver à 15 000 entre 2015 et 2016 », commente-t-elle.
« La crise provient de la grande frilosité des pays d’Europe à accorder l’asile, même si 770 000 personnes ont bénéficié de ce statut en 2016 », précise la chercheuse au CNRS. En 2016, seulement 45% des demandeurs d’asile ont obtenu une réponse favorable. La France n’en a accepté que 31% en 2015 et 36% en 2016.
La crise politique en Libye lui a fait perdre son rôle de garde-frontières entre les pays africains et l’Europe, mettant en difficulté l'Italie et à la Grèce. « Beaucoup de migrants racontent qu’aujourd’hui traverser la Libye s'avère plus difficile que franchir la Méditerranée », déclare la chercheuse. Ils décrivent des traitements inhumains, l'esclavage, la prostitution, le racket, l'enfermement …
L’Europe a cherché un nouveau poste frontière. L’accord entre la Turquie et les pays membres remplit ce rôle, quitte à devoir rémunérer pour cela l'Etat turc avec 6 mrds $ (5,3 mrds€) d'aides. « La Turquie s’est retrouvée en première ligne et a vu quatre millions de personnes arriver sur son territoire. Mais le pays offre un asile très inconfortable et les réfugiés cherchent donc à quitter la Turquie. Ils empruntent la route des Balkans pour se retrouver face à des frontières totalement fermées, avec très peu de postes de passage, ou préfèrent tenter leur chance sur la Méditerranée, pour échouer en Grèce », détaille Catherine Wihtol de Wenden.