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L'économie libyenne face aux challenges du stress hydrique et de la gestion des hydrocarbures


Rédigé par , le Mardi 31 Août 2021 - Lu 1420 fois

Vandalismes incessants sur les réseaux d'eau et les installations pétrolières, suspension du président de la compagnie nationale pétrolière, pénurie d'eau, nécessité de diversifier les revenus, l'économie libyenne peine à retrouver un rythme normal après dix ans de guerre civile. English version


LIBYE. Un conflit en chasse souvent un autre dans l'actualité. Depuis quelques semaines, les projecteurs se tournent plus volontiers vers l'Afghanistan, mettant dans l'ombre un théâtre libyen bien loin de baisser le rideau. Voici les derniers actes significatifs d'un pays qui tente de retrouver la normalité.

Depuis lundi 30 août et jusqu'au mardi 31 août 2021, Alger accueille une réunion ministérielle consultative des pays voisins de la Libye en présence notamment des ministres des Affaires étrangères libyen, algérien, tunisien, égyptien, soudanais, nigérien et tchadien. Mais aussi Ján Kubiš . "Le gouvernement (libyen) a pris les dispositions nécessaires pour la tenue des élections, mais nous avons besoin d'un cadre juridique. Les députés sont actuellement en train de finaliser la loi électorale et il nous reste encore très peu de temps (...) Je les ai invités à prendre leurs responsabilités et à ne pas perdre de temps", soulignait l'envoyé spécial pour la Libye et chef de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye (Manul). Selon ses propos du lundi 30 août 2021, "le Gouvernement d'unité nationale a dégagé le budget nécessaire à la tenue des élections, mais il est important qu'il y ait un cadre juridique le plus tôt possible."

Même si Ján Kubiš souhaite que ces pays riverains envoient des observateurs lors de ces votes, c'est bien à Tripoli que la gouvernance provisoire, issue du Forum de dialogue politique libyen (LPDF), oeuvre à l'organisation des prochains scrutins destinés à retrouver une stabilité des institutions perdue depuis l'assassinat de Mouammar Khadafi en octobre 2011 à Syrte.

Les élections préalable à un retour à la normale

De prochaines élections doivent permettre de réunifier un pays morcelé (carte : econostrum.info)
De prochaines élections doivent permettre de réunifier un pays morcelé (carte : econostrum.info)
Le Conseil de sécurité de l'Onu ne cesse d'insister, comme encore le 15 juillet 2021, sur "l'importance d'élections libres, équitables régulières et crédibles" à la date prévue le 24 décembre 2021. Reste que leur report semble plus que probable malgré l'engagement de l'ensemble des partis libyens sur cette échéance confirmé par Ján Kubiš dans son discours à Alger lundi 30 août 2021.

Elles assurerait pourtant "l’unification des institutions libyennes, une bonne gouvernance et l’amélioration des résultats économiques, notamment au moyen d’un accord rapide sur un budget unifié ainsi que sur la question des postes souverains", soulignait un communiqué du Conseil de sécurité. Et au-delà, bien entendu, un point de départ à une réconciliation nationale après deux guerres civiles (février 2011-octobre 2011et mai 2014- octobre 2020)

Le préalable à un retour à la normale est intervenu avec l'accord d'un cessez-le-feu permanent signé en octobre 2020 à Genève, sous l'égide de l'Onu. Et le retrait de la vie politique, par jet d'éponge, des deux grands ennemis qui se disputaient l'autorité sur le pays, Fayez al-Sarraj, président du Conseil présidentiel du Gouvernement d'union nationale (GNA), et Khalifa Haftar, l'homme fort de l'Est.

Suspension du patron de la NOC

Pour Mustafa Sanallah, président de la NOC, la compagnie libyenne du pétrole reste "la principale raison de l'unité et de la stabilité de la Libye." (photo : NOC)
Pour Mustafa Sanallah, président de la NOC, la compagnie libyenne du pétrole reste "la principale raison de l'unité et de la stabilité de la Libye." (photo : NOC)
Les premières bonnes nouvelles de cet été ne viennent cependant pas du côté politique, mais de l'annonce par la National Oil Corporation (NOC) d'une embellie sur la production pétrolière. La compagnie nationale libyenne du pétrole se félicite d'un record des revenus nets des ventes d'hydrocarbures en juillet 2021 avec un total de 2,05 mrds$ (1,73 mrd€). Cette industrie a permis de faire entrer dans les caisses du gouvernement provisoire pas moins de 1,96 mrd$ (1,66 mrd€) avec les ventes de pétrole brut, auxquelles il faut ajouter 80,98 M$ (68,48 M€) de gaz et de condensats ainsi que 3,37 M$ (2,85 M€) de de produits pétroliers et 2,79 M$ (2,36 M€) de produits pétrochimiques. La Libye envisage de produire 1,45 million de barils par jour (bpj) d'ici à la fin de 2021 (1,3 millions de bpj aujourd'hui), 1,6 million d'ici à 2023 et 2,1 millions en 2025. Elle dispose des plus grandes réserves d'hydrocarbures du continent africain. Sadiq al-Kabir, gouverneur de la banque centrale de Libye estimait, très récemment, que son pays devait augmenter sa production de pétrole de 40%  par rapport aux niveaux actuels pour faire face à ses dépenses et relancer l'économie. Cette industrie devrait générer 25 mrds$ (21 mrds€) de revenus en 2021.

"En dépit de toutes les circonstances, la NOC a été, est et sera toujours la principale raison de l'unité et de la stabilité de la Libye et le principal et unique soutien de son économie", répétait encore, Mustafa Sanallah, président du conseil d'administration de la compagnie, dimanche 29 août 2021 lors d'une réunion au siège de Tripoli. Quelques heures après, l'homme qui gère les hydrocarbures depuis 2014 sans interruption malgré les conflits - et a obtenu la médaille anticorruption du Département d'Etat américain en mars 2021, a été suspendu de ses fonctions par le nouveau ministre libyen du pétrole et du gaz, Mohamed Aoun, nommé en mars 2021.

Ancien représentant de la Libye auprès de l'Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et rival de Mustafa Sanallah, Mohamed Aoun occupe un poste resté vacant depuis 2012. Il accuse le président de la NOC d'avoir enfreint une règle gouvernementale obligeant tous les hauts fonctionnaires à demander une autorisation avant de voyager à l'étranger. Et d'avoir dirigé la compagnie alors qu'il se trouvait en dehors du pays. Selon la presse libyenne, son successeur provisoire désigné par le ministre, Jadalla Oakely, membre du conseil d'administration de la NOC, aurait refusé de le remplacer. La Libye aurait pu faire l'impasse sur ce différend. Surtout dans cette période délicate durant laquelle les prises de décisions engagent plus que jamais l'avenir du pays.

1,6 mrd$ pour financer les activités énergétiques

Les hydrocarbures demeurent un baromètre de l'économie libyenne. La NOC étudie d'ailleurs depuis des mois un renforcement de sa production. Il passerait par des projets de construction de plusieurs raffineries. L'objectif est d'éviter à la Libye, l'un des plus importants pays producteurs, d'importer des produits pétroliers raffinés. Mais aussi de bénéficier d'autres sources de revenus, tout en couvrant mieux sa demande domestique notamment en matière de carburants, avec principalement la conversion de gaz naturel en diesel de haute qualité.

Ces nouvelles implantations seraient financées par des investissements locaux et internationaux selon la formule des Partenariats Public Privé (PPP). Présent sur place depuis 1959, et bénéficiant d'une co-entreprise avec la NOC, le groupe italien ENI semble en pôle position. Son Pdg, Claudio Descalzi avant d'ailleurs rencontré, à Tripoli quelques jours seulement après sa nomination en mars 2021, Abdul-Hamid Dbeibah, Premier ministre du gouvernement national de transition, en présence de Mohamed Aoun. Au menu des discussions, le gaz naturel alors qu'ENI est déjà le principal producteur de gaz en Libye et le principal fournisseur de gaz sur le marché local, avec une part d'environ 80 %. "Notre société est prête à continuer à développer les immenses réserves libyennes déjà découvertes tout en valorisant son important potentiel d'exploration", précisait alors un communiqué d'ENI.

Des représentants du groupe italien et leurs homologues libyens assistaient d'ailleurs au dernier comité de pilotage en date, fin août 2021 à Milan, consacrée au développement d'installations gazières offshore, baptisée "A" et "E" par la compagnie Mellitah Oil and Gaz, co-entreprise entre ENI Afrique du Nord et la NOC. Elles font parties des projets stratégiques issus des accords d'exploration et de partage de la production et de l'accord d'exploitation de la production de gaz signés entre la Libye et l'Italie. ENI est également engagé dans le champ offshore de Bahr Essalam (110 km au large de Tripoli) et la plate-forme Sabratha.

A ce jour, la Libye dispose de quatre raffineries : Zawiyah (près de Tripoli), Tobrouk (Est), Sarir (Est) et Ras Lanouf (golfe de Syrte). Un plan d'octobre 2013 prévoyait d'en créer deux autres, une près de Tobrouk (capacité de 300 000 barils/jour) et une à Ubari (50 000 b/j) dans la région du Fezzan, au Sud-Ouest du pays.

Parallèlement, le nouveau gouvernement avait alloué, en avril 2021, un budget d'1 milliard de dinars libyens (180 M€) pour réamorcer les exportations de pétrole brut depuis le port de Marsa Al Hariga à l'Est du pays. Cette décision intervenait un mois après le vote d'une enveloppe d'1,6 mrd$ (1,33 mrd€) pour financer les activités énergétiques du pays, dont un tiers attribué à la NOC. Somme utilisée par la compagnie pour réhabiliter les installations lourdement touchées par dix ans de guerre civile. D'autant plus, que les atteintes aux infrastructures se poursuivent. Et que les projets continuent de se heurter au manque de financement disponible comme le rappelait, Mustafa Sanallah, fin août 2021.

Une urgente nécessité de protéger les infrastructures d'eau

Distribution d'eau dans le port de Tripoli par l'Unicef (photo : Unicef/Giovanni Diffidenti)
Distribution d'eau dans le port de Tripoli par l'Unicef (photo : Unicef/Giovanni Diffidenti)
Les installations d'hydrocarbures ne sont pas les seules à souffrir de vandalisme et d'obsolescence. Il faut aussi, malheureusement compter avec les problèmes de distribution de l'eau, et pas seulement à cause d'une ressource faible liée à une demande croissante ou au changement climatique.

Dans une étude sur l'impact de la pénurie d'eau sur les enfants au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (Mena) publiée le 23 août 2021, le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) note que sur les dix-sept pays les plus touchés par le stress hydrique, onze* se situent dans cette région. L'Institut des ressources mondiales (World Resources Institute - WRI) classait, en août 2019, La Libye sixième mondiale dans la catégorie des nations connaissant le plus fort stress hydrique et la plaçait dans la plus haute catégorie ("extrêmement élevé"). Ce cercle de réflexion commence à parler de stress hydrique lorsque dans une région un individu dispose de moins de 1 700 mètres cubes par individu et par an, soit l'équivalent de huit à neuf verres d'eau par jour.

"Quelque 90 % des enfants des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) vivent dans des zones à fort stress hydrique", souligne le rapport de l'Unicef précisant que dans cette partie du monde, près de 66 millions de personnes ne disposent pas d'installations sanitaires de base et qu'une très faible proportion des eaux usées est traitée de manière adéquate. "La pénurie d’eau a un impact profond sur les enfants et les familles, à commencer par leur santé et leur nutrition. La pénurie d’eau devient également de plus en plus un facteur de conflit et de déplacement, avertit Bertrand Bainvel, directeur régional adjoint de l’Unicef pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Voici quelques semaines, Cristina Brugiolo, représentante spéciale adjointe en Libye de la même organisation, s'alarmait de la situation sur place. "Lorsque l'accès est coupé, les enfants sont souvent contraints de s'en remettre à des sources non sûres. Cela augmente leurs risques de contracter des maladies, en particulier chez les très jeunes enfants." Elle réagissait à la vandalisation d'une station principale de la Grande rivière artificielle (GRA) affectant l'approvisionnement en eau de quatre grandes villes : Bani Walid, Misrata, Al-Khums et Zliten. Cette infrastructure souterraine de plus de 3 000 km de long, édifiée du temps de Mouammar Khadafi entre 1991 et 2010, fournit 60% de l'eau douce utilisée dans tout le pays.
Cet acte arrivait après la destruction et la mise en hors service totale, fin juillet 2021, d'un des puits du système d'approvisionnement en eau d'Al-Hasawna, Al-Juffra d'une capacité de production quotidienne de 5 000 mètres cubes d'eau.

Ces incidents s'ajoutent aux raccordements illégaux et la fermeture sous la menace des armes. Couper l'eau pour faire pression (sic) est devenu une pratique très habituelle des bandes armées. Mi-août 2021, des soldats ont menacé de saboter le réseau en réclamant la libération de sa prison tripolitaine d'Abdallah al-Senoussi, ancien responsable de la sécurité intérieure sous l'ère Kadhafi et accessoirement son beau-frère. Ceci a entraîné un arrêt préventif de l'approvisionnement de l'Ouest et du Sud-Ouest du pays pendant dix jours par l'Autorité de la grande rivière artificielle (MMRA).

"Les attaques répétées des assaillants contre ses principaux systèmes menacent la sécurité de l'eau de tout la Libye et font courir à des millions de personnes le risque immédiat de ne plus avoir accès à l'eau potable", constatait dans un communiqué l'Unicef. Pour Bertrand Bainvel, "dans ce contexte, il est encore plus inacceptable que les combattants dans les conflits ciblent les infrastructures hydrauliques. Les attaques contre les infrastructures hydrauliques doivent cesser."
L'organisation appelle "les partenaires nationaux et internationaux à faire de la question urgente de la protection des infrastructures d'eau une préoccupation prioritaire et à renforcer les mesures de sécurité, y compris le déploiement de forces civiles sur les champs de captage".

La Mission d'appui des Nations unies en Libye s'est cependant félicitée, le 26 août 2021, de la création d'une force conjointe "issue des deux côtés des lignes de démarcation pour sécuriser la Grande rivière artificielle". Lors d'une inspection, dimanche 29 août 2021, une patrouille a d'ailleurs découvert un engin explosif prêt à exploser dans l'un des puits de vannes d'air au sud de Shwerif sur le site d'Al-Hasawna de cette infrastructure souterraine.

Libérer le pays de sa dépendance au pétrole et au gaz

Dimanche 29 août 2021, le président du Conseil libyen, Mohamed Al Mnefi, et son ministre de l'Economie et du Commerce, Mohamed Al Hweij, discutaient des perspectives économiques du pays en insistant sur la nécessaire diversification des revenus et des investissements dans divers domaines économiques pour libérer le pays de sa dépendance au pétrole et au gaz. Quatre jours avant, REAol (Autorité libyenne des énergies renouvelables créée en 2007) annonçait la construction d'une centrale solaire à Bani Walid. Disposant d'une capacité de 50 MW, elle s'implanterait sur un site de soixante-quinze hectares.
En novembre 2013, le gouvernement libyen d'alors fixait à la REAol des objectifs très (trop ?) ambitieux de 6% de l'électricité consommée provenant d'énergies renouvelables (centrale photovoltaïques - CSP - et chauffage solaire de l'eau - SWH -) en 2015, 10% en 2020, 25% en 2025 et 30% en 2030.

En 2020, une étude financée par l'Union européenne, et réalisée avec la Banque mondiale, l'Onu et USAID, a fixé comme investissements prioritaires l'eau et l'électricité. Fort de ces préconisations, en août 2020, un accord entre la Banque mondiale, la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul), le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), USAID et le Fonds libyen d'investissement et de développement local (Llidf) débouchait sur plusieurs projets de petites centrales photovoltaïques. Elles sont destinées à alimenter des stations de pompage puisant dans les nappes aquifères non-renouvelables du Bassin de Nubie. Installées le long de la Grande rivière artificielle libyenne, ces centrales permettraient d'améliorer l’approvisionnement en eau potable dans la région tout en limitant le recours à l'électricité traditionnelle fournie par le pétrole.

Mardi 31 août 2021, Energy Capital & Power (ECP) annonçait la tenue d'un sommet libyen de l'énergie et de l'économie les 22 et 23 novembre 2021 dans la capitale libyenne, en collaboration avec le gouvernement. La plate-forme africaine d'investissement du secteur de l'énergie en parle comme du "premier grand évènement international sur l'énergie à se tenir à Tripoli depuis de nombreuses années". Investisseurs locaux, chefs d'industrie, politiques et financiers se réuniront avec comme objectif de "revitaliser le secteur national des hydrocarbures" en attirant les capitaux étrangers, la technologie et l'expertise dans ce secteur essentiel. “La Libye est l'un des marchés pétroliers et gaziers les plus influents du continent, avec une position stratégique sur la Méditerranée et de vastes bassins sous-explorés estimés détenir un potentiel frontalier important ”, commente Kelly-Ann Mealia, présidente de l'ECP dans un communiqué. “Cette administration libyenne a été proactive en rétablissant la structure de l'industrie, en reconstruisant les liens régionaux et mondiaux, et en réaffectant des budgets pour réhabiliter les infrastructures énergétiques existantes. L'ECP soutient la Libye dans sa démarche de transformation pour devenir une puissance énergétique intégrée et durable”, poursuit-elle.

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* Bahreïn, Iran, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Oman, Israël et Palestine, Qatar, Arabie saoudite, Emirats arabes unis.




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