
Cette information, si symbolique qu’elle soit, ne constitue en fait que la suite logique de la reconnaissance, par tweet quarante-huit heures avant, de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental par Donald Trump. Mais aussi un retour d'ascenseur, totalement assumé, après la déclaration de Rabat sur sa normalisation de ses relations avec Israël (voir partie 3 de notre enquête).
Pour ce spécialiste français des questions géopolitiques méditerranéennes requérant l'anonymat, "qu'un chef d’État reconnaisse unilatéralement 'la souveraineté du Maroc' sur le Sahara occidental démontre le mépris dans lequel ce responsable tient l'Onu. Il dévalorise cette institution unique. Imaginer que les États-Unis se proposent d’imposer leur gouvernance autoritaire à l’ensemble de la planète en remplacement d’une administration de concertation internationale me paraît une perspective extrêmement dangereuse." Selon lui, "instrumentaliser la question du Sahara occidental pour satisfaire des projets politiciens égocentriques par une négociation de marchands de tapis, sans mesurer les conséquences liées à la délégitimation de l'Onu est clairement irresponsable."
Mohamed Ould Cherif, directeur du centre de réflexion franco-sahraoui Ahmed Baba Miské, affirme que "le statut du Sahara Occidental a été défini par les Nations unies comme territoire non autonome en attente d’autodétermination. La décision du président sortant, M.Trump, se trouve en totale contradiction avec la légalité internationale et avec les décisions et résolutions du conseil de sécurité."
Avis totalement opposé pour Jawad Kerdoudi, président de l'Institut marocain des relations internationales (IMRI) : "la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur son Sahara conforte la position diplomatique du Maroc, les États-Unis étant la première puissance économique et militaire du monde. Leur présence sur ce dossier est légitime, car il est géré par l’ONU, et les États-Unis font partie des membres permanents du Conseil de sécurité. De plus, le décret présidentiel américain mentionne qu’un État sahraoui indépendant n’est pas une option réaliste pour résoudre le conflit."
Rachid El Houdaigui pense que "les États-Unis sont présents sur ce dossier, car ils ont les ressources nécessaires pour régler le problème." Et le professeur de l'université Abdelmalek Essaadi (Tanger), membre du Policy Center for the New South (Rabat), de préciser, "les officiels français ont souvent dit à leurs homologues marocains que la solution du Sahara se trouve à la maison Blanche et non pas à l’Élysée !"
Fin de 30 ans de cessez-le-feu

Cette polémique intervient alors que la situation sur place devient de plus en plus tendue depuis novembre 2020 avec des échanges de tirs entre les troupes marocaines et le Front Polisario, mouvement de libération du Sahara occidental. Le bruit des armes, mais aussi un communiqué du Front Polisario décrétant l'"état de guerre", est venu déchirer un silence résultant de trente ans de cessez-le-feu.
À l'origine de ce "réveil", le blocage du trafic routier (principalement des camions) au niveau du poste frontière de Guerguerat par les indépendantistes. La seule route menant du Maroc à la Mauritanie et aux pays de l'Afrique de l'Ouest. Mais aussi "les attaques massives par tirs et pilonnages" du Front Polisario, selon les termes de son ministère de la Défense contre le mur de sable s'étendant sur 2 700 km de long et faisant office de barrage pour éviter les incursions du Polisario.
En réponse, les Forces armées royales marocaines (FAR) se sont déployées dans la zone tampon de Guerguerat, sous surveillance de l'Onu, pour déloger les hommes du mouvement sahraoui. Pour Mohamed Salem Ould Salek, ministre des affaires étrangères de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) autoproclamée, "la fin de la guerre est liée désormais à la fin de l'occupation illégale". Sous entendu, de la partie du Sahara occidental sous contrôle marocain.
"Les Sahraouis restent ouverts aux négociations, car par principe ils sont un peuple pacifique. Néanmoins, compte-tenu de la démarche du Maroc d'élargir le conflit à d'autres parties, lointaines de la région, je ne vois pas une réelle volonté du Royaume du Maroc de s'asseoir à la table des négociations", complète Mohamed Ould Cherif.
Les Nations unies se sont montrés bien silencieuses après ces évènements venant bouleverser un statu quo pourtant très fragile. Le dernier rapport annuel du secrétaire général de l'Onu se contente d'indiquer qu'il était "extrêmement difficile de vérifier la réalité des informations diffusées de l'un ou de l'autre côté."
L'histoire du Sahara occidental en quelques dates repères |
Guerre larvée entre Maroc et Algérie
À son indépendance en 1956, le Royaume chérifien avait dû renoncer aux enclaves de Ceuta et Melilla et à quelques rochers à cause de leur appartenance à la couronne espagnole avant le début du protectorat. Mais pour Mohammed Ben Youssef, sultan du Maroc qui régnera sous le nom de Mohammed V, le départ des Espagnols plaçait d'emblée le Sahara occidental sous son autorité. Le territoire de Tarfaya (1958) puis l'enclave d'Ifni (1969) ont bien été rétrocédés par les Espagnols au Maroc. Mais pas le Rio de Oro et le Seguia el-Hamra.
Après la mort de Francisco Franco et l'installation de Juan Carlos, les Espagnols sont partis en 1975 sans régler le problème du statut qui devait passer par un référendum auprès du peuple sahraoui. Hassan II s'est toujours opposé à l'autodétermination.
L'Onu dépêche une mission sur place en mai-juin 1975. Ses conclusions viennent alimenter la décision du 16 octobre 1975 de la Cour internationale de Justice constatant que le Sahara occidental n'était pas "terra nullius" (territoire sans maître) au moment de sa colonisation et que les tribus nomades le peuplant, malgré les liens juridiques d'allégeance avec le Maroc et la Mauritanie, ont le droit de se prononcer sur son statut.
Le Maroc, avec sa Marche Verte forte de 350 000 militants, et la Mauritanie décident alors d'envahir ce territoire. En réponse, le Front Polisario, mouvement indépendantiste, prend les armes. L'Algérie se mêle à la partie, mais ne reste que quelques jours (en janvier 1976) sur place avant de se retirer.
Une semaine plus tard, les accords de Madrid, dénoncés par le Polisario et souvent qualifiés, même en Europe d'"habillage juridique de l'occupation marocaine", partagent la région entre le Maroc (deux-tiers) et la Mauritanie (un tiers).
La guerre larvée entre le Maroc et l'Algérie débute. La frontière entre les deux pays est fermée depuis 1994. En 1979, la Mauritanie renonce finalement à toute vue sur le Sahara occidental.
L'Onu impuissante depuis quatre décennies

L'Onu qualifie le Sahara occidental de "territoire non autonome" depuis 1963. "Dans un processus de décolonisation, il s'agit de savoir si le peuple est souverain sur son territoire ou pas. C'est le cas ici", nous rappelle Gilles Devers, avocat français du Front Polisario, en dressant des parallèles avec le FLN en Algérie et l'OLP en Palestine. "Mouvement de libération nationale, le Front Polisario est la forme juridique provisoire qui représente le Sahara occidental", insiste-il.
Jawad Kerdoubi estime que "le Sahara occidental fait partie intégrante du territoire marocain. Des liens juridiques d'allégeance ont existé avant l'occupation espagnole entre les sultans du Maroc et les chefs des tribus sahraouis. Ces liens ont été reconnus par la Cour internationale de justice de La Haye dans son avis consultatif du 16 octobre 1975." Rachid El Houdaigui ne voit pas "le Maroc sans son prolongement géographique et humain saharien. C'est une question essentielle pour l’État-nation marocain, pour les institutions politiques et pour la posture géographique du pays." Il reprend une vieille thèse toujours vivace, "ceux qui ont cru pouvoir étouffer le Maroc, en l'encerclant par la création d'un micro État, vivent aujourd’hui une désillusion." La référence à l'Algérie, accusée par certains de vouloir fermer l'accès à l'Afrique subsaharienne au Maroc, est limpide.
Un plan d'autonomie proposé par le Maroc
Les dirigeants du Front Polisario réclament la mise en place du référendum d'autodétermination prévu par les Nations unies. Les négociations se trouvent au point mort depuis le printemps 2019. Et la Minurso, la force de maintien de la paix de l'Onu créée en avril 1991 vient, début novembre 2020, de rempiler pour un mandat d'un an, jusqu'au 31 octobre 2021. Basés à Laâyoune, ces casques bleus (245 militaires auxquels s'ajoutent 440 administratifs) poursuivent leur mission. Ils se trouvent désormais sans chef depuis la démission en mai 2019, officiellement pour des raisons de santé, de Horst Köhler.
Khadija Mohsen-Finan revendique "avoir adopté naturellement une distance par rapport aux parties en travaillant sur ce dossier." Politologue, enseignante à l'Université de Paris 1 et chercheuse au laboratoire Sirice (identités, relations internationales et civilisations de l'Europe), elle affirme qu'"aucune des revendications ne la satisfait pleinement." Khadija Mohsen-Finan fustige "le jeu de balancier marocain entre "droits historiques" et droit international" qu'elle juge "pas acceptable car donnant le sentiment d'une manipulation du droit et de l'histoire. Inversement, un État supplémentaire dans la région, gouverné par le Front Polisario, qui aurait renforcé une Algérie arrogante, parait peu viable et déstabilisateur pour la région."
"Le Maroc est plus que jamais en position de force, militaire d'abord, diplomatique ensuite. La question du référendum s'éloigne encore plus, l'Onu ne pipe mot, comme d'ailleurs les Africains", souligne un diplomate français.
Lire les autres articles de notre enquête sur la question du Sahara occidental
Partie 2 : La contrepartie à la reconnaissance américaine : Renforcement des relations entre le Maroc et Israël
Partie 3 : La donnée économique. Un désert plein de ressources